vendredi 6 juin 2014

Circoncision, un psychanalyste parle

http://www.hebdo.ch/les-blogs/la-r%C3%A9daction-en-ligne/circoncision-et-excision-des-rites-arrim%C3%A9s-%C3%A0-l%E2%80%99h%C3%A9ritage-de-la-loi-du


Mario Cifali, psychanalyste
Le moins possible de cruauté est une exigence d’humanité. Ne pas faire souffrir et ne pas se faire souffrir, tel est le critère supérieur pour concevoir une vie qui élève les hommes au lieu de les rabaisser. Or, que se passe-t-il en réalité? Maintes coutumes, fomentées par la crainte de la mort et le besoin de salut, sont utilisées pour ségréger. Un rite sacrificiel, parmi d’autres, est parlant à ce plan: celui d’un machisme arrimé à un héritage mémoriel qui tait son origine sadique. Je veux parler des mutilations prônées par l’une ou l’autre croyance religieuse. L’excision et la circoncision, voulues et pratiquées par des hommes au pouvoir, voire par des femmes soumises à la volonté du clan patriarcal, sont des pratiques ignominieuses. Etudiées de près, elles relèvent d’actes que rien ne justifie, hormis la morsure de la loi ou de la voix du père tout-puissant.
Ces coutumes, régies par des rituels initiatiques, renferment des volitions rationnalisées par des croyances qui maltraitent la réalité.Traumatiques, l’excision et la circoncision le sont pour le corps et la psyché. Or, qu’est-ce qui les accrédite, sinon un dogmatisme ?Au-delà d’une conscience bornée, la fouille freudienne en déniche leur forme originelle, et ce pour cerner l’inféodation qu’elles renferment: «La circoncision est le substitut symbolique de la castration, déclare Freud, que le père primitif avait jadis infligé à ses fils, dans la plénitude de son pouvoir, et celui qui adoptait ce symbole montrait qu’il était prêt à se soumettre à la volonté du père, même quand elle lui imposait le sacrifice le plus douloureux. Moyennant la circoncision, la loi du père est «sanctifiée» par ce que le créateur de la psychanalyse désigne comme «la mutilation la plus sanglante imposée au cours du temps à la vie amoureuse de l’être humain». En tant qu’acte initiatique, celle-ci signifie symboliquement à la fois la mort au monde de la mère et l’accession à la mentalité du père.
Depuis la plus haute antiquité phallocrate, cette opération psychosomatique fait des dégâts. Circoncision et excision sont des actes auxquels plus d’un credo interdit de toucher. Mieux: elles témoignent de l’efficacité d’une sorte d’impératif qui impose sa misère au prix d’une mutilation du prépuce chez les fils, du clitoris et des lèvres chez les filles. Comme dans la célèbre Colonie pénitentiaire de Kafka, c’est au corps que la loi patriarcale s’applique afin qu’elle soit mémorisée et aveuglément obéie. Les pratiques religieuses qui imposent de telles blessures corporelles, précisément aux organes sexuels, sont l’expression d’une violence, dont le but est le sacrifice d’un bout de peau, voire de l’intelligence sensible. L’offrande qu’elles impliquent vise autant à fléchir l’ire de Dieu, ou des dieux, qu’à s’attirer sa faveur. Dire de la souffrance expiatoire comme Baudelaire: «Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance comme divin remède à nos impuretés», est devenu irrecevable. Depuis la nuit des temps du patriarcat, la circoncision est répandue dans nombre de peuples. Certains Juifs autant que certains Musulmans peinent à penser qu’elle s’enracine dans le monde tourmenté des psychonévroses de l’individu et de la collectivité. Qu’ils puissent affirmer en substance : «Si vous n’êtes pas circoncis selon la loi de Moïse ou du Prophète, vous ne pouvez être sauvés», en dit long. Être tous frères du libre esprit, c’est chose inimaginable à leurs yeux, tant est fort le lien symbolique à la castration. Paul, Juif converti au christianisme, admettra que la circoncision du cœur peut remplacer la circoncision du prépuce. Le corps est ainsi épargné par l’acte sacrificiel qui s’attaque à l’organe érotique, mais la sexualité, véritable bête noire, n’en pâtit pas moins. Jadis, certains Juifs insultaient les étrangers en les traitant d’incirconcis ou de «prépuces» et les Romains les méprisaient à leur tour en les nommant: «verpus», des circoncis. Des affects conflictuels les opposaient en fonction d’une image du corps.
Toujours et encore, la violence du «vivant sacrifice» apparaît dans les sociétés phallocrates, dont la castration est le principal complexe psychique. A croire, comme le démontre Freud, que notre civilisation est issue d’un délit inaugural qui perdure à de multiples plans, tant religieux que politiques. Rappelons qu’avant et après l’année zéro, les temples étaient lieux d’une férocité où l’on expiait la culpabilité en faisant saigner les corps. Rappelons aussi qu’à la fin du 19ème siècle, toujours sous l’influence d’une cryptopsychie religieuse, plus d’un médecin préconisait la clitoridectomie pour soigner l’hystérie, et la circoncision pour réprimer la masturbation. Les fiers émules du docteur Tissot de Lausanne pratiquaient à tour de bras ces mutilations. Apprenant qu’une jeune fille voulait se suicider pour se soustraire à son vice, Tissot répondit: «J’applique trois points de feu sur chaque lèvre et un autre sur le clitoris», non sans déclarer: «On ne doit pas hésiter à recourir à ce traitement et de bonne heure, pour combattre l’onanisme clitoridien ou vulvaire des petites filles».La perversité de telles pratiques rien ne la justifie, si ce n’est l’obscurantisme phallocrate qui n’a d’égal que les actes néfastes qui survivent dans la psyché humaine. Qu’il frappe une partie du corps ou la totalité, le désir sacrificiel sévit dans nombre de cruautés, dont des hommes sont les auteurs, sans jamais douter, encore moins de s’indigner. Comment cela est-il encore possible? C’est la question névralgique pour quiconque ne dénie pas l’universalité vraie, corporelle et psychique, précisément antiraciste et antidogmatique, pour quiconque privilégie la connaissance plutôt que les sacrifices.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire